Texte Thierry Cattan

 

 

C’est à la maison des arts d’Évreux que Jean Baptiste Defrance a découvert l’art, qu’il s’est découvert la possibilité de dessiner, de peindre, de photographier, qu’il a découvert la possibilité d’aller à la rencontre de ce qu’il voit et de ce qu’il ressent. Une telle rencontre n’a rien d’immédiat : nous voyons, nous ressentons quotidiennement une multitude de choses, sans véritablement savoir ni ce que nous voyons, ni ce que nous ressentons. L’action pour être efficace, exige que nous nous en tenions à la superficie des choses. Que nous allions, tant que faire se peut, droit au but. Elle exclut ainsi le temps de la contemplation, de la méditation, qui est toujours un temps d’arrêt de questionnement, un temps sans intention, d’ouverture, de disponibilité, par lequel nous nous portons à la rencontre des êtres et des choses. L’artiste est tout le contraire d’un pragmatique, parce qu’il n’aspire pas à s’emparer des êtres et des choses pour les soumettre à sa volonté mais les contemple simplement pour se porter à leur rencontre. Le pragmatisme est par essence superficielle, brutale, il soumet toute chose au seul impératif de l’efficacité, de la réussite, de la maîtrise. Il faut être alors un peu artiste pour entendre ces quelques mots que Jean-Baptiste Defrance relève dans les écrits de Beckett et place en exergue de son œuvre :

« Essayer. Rater. N’importe. Essayer encore. Rater encore. Rater mieux. »

Au sortir de la maison des arts, alors qu’il vient d’obtenir son bac et doit décider de son orientation, Jean Baptiste Defrance opte résolument pour une formation artistique qu’il poursuivra jusqu’en 2007 avec l’obtention de son Diplôme nationale d’art plastique. Il délaisse durant deux ans la peinture pour s’adonner à la photographie qui, en apparence tout du moins, lui autorise une certaine distance, une certaine neutralité vis-à-vis de son sujet.

Il importe ici de relever qu’il ne fait alors quasiment que des portraits.

Au dire de Jean Baptiste Defrance lui-même, la photographie fut un moyen pour lui d’aller à la rencontre des autres. Nous pouvons bien sur voir dans le dispositif photographique une façon de se protéger. De ne pas se trouver tout à fait démuni face à l’autre. Je préfère y voir de sa part une forme de pudeur. La pudeur est ce sentiment que nous éprouvons d’une nécessaire distance face à ce qu’il y a de plus fragile dans l’autre. Mais cette distance n’est pas tant une façon de se protéger que de dire la fragilité. Ce n’est pas une façon de fuir la relation mais bien de s’y porter au plus près.

 

Porter son regard sur le visage d’autrui, en percevoir la profondeur, en saisir la fragilité, en relever la part d’ombre et de lumière, est à la fois l’une des modalités fondamentales des photographies de Jean Baptiste Defrance, mais c’est aussi, au dire de Lévinas, le propre de l’éthique. Désireux de revenir à la peinture, Jean Baptiste Defrance s’est détourné aussi du portrait pour peindre ce que l’on nomme classiquement d’une expression bien erronée : des natures mortes. Il nommera néanmoins sa dernière exposition « portrait » comme si à travers ces gants, ces bonnets, ces chaussures, c’est toujours vers l’autre qu’il se porte. Ce voyage, cette traversée prend alors une tournure singulière : c’est un voyage, une traversée avec la peinture mais aussi à travers la peinture sinon vers la peinture.

Avant que de représenter ceci ou cela le peintre a d’abord affaire à la peinture : cette pâte plus ou moins dense dont l’épaisseur charrie tant d’ombre que de lumière et de l’une à l’autre, une multitude de couleur. Il faut que les couleurs s’ordonnent sur la palette, qu’elles se mêlent les unes aux autres.

Chacune se charge alors très vite d’une multitude de sentiments, de significations, de toute une histoire qui est l’histoire de notre sensibilité, l’histoire aussi du peintre. On ne place pas un rouge ou un jaune sur une toile sans en éprouver toute la puissance évocatrice. Les œuvres de Jean Baptiste Defrance pourront vous paraître assez sombres. Mais prenez le temps de contempler ses gris, vous y verrez sourdre une rouge, un bleu, un jaune, une luminosité, une vitalité, qui du fond de la pénombre viendront vous parler.

 

S’agit-il encore de pudeur ? sans doute – mais il s’agit aussi de dire la pénombre dans laquelle doit se tenir bien souvent notre humanité.

 

La lumière est là, bien présente, préservée.

 

La force avec laquelle Jean Baptiste Defrance structure ses toiles, rehausse, empâte finalement, est la pour soutenir à la fois cette lumière et en dire la puissance.

 

Préservé et soutenir ce qu’il y a de fragile, de beau, dans l’avènement d’une couleur, d’un contraste, d’une lumière – la peinture se fait ici métaphore d’une éthique où le désir et la crainte se mêlent, où la joie et la peine se côtoient sans se heurter.

 

 

Thierry Cattan

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